Après la publication de l’article sur la reconstruction de Pérenchies
publié par le Grand Echo du Nord et du Pas-de-Calais le 16 avril 1919 et retrouvé
grâce à une de nos lectrices, Marie-Paule, MONCHICOURT, nous avons relu le
livre édité à l’occasion du Centenaire des Ets AGACHE dont une partie raconte
le même événement.
Nous avons pensé qu’il serait intéressant d’en publier quelques pages
recopiées et d’y mettre une partie de notre documentation photographique
retrouvée.
C’est aussi l’occasion pour nous de vous annoncer que le thème de
l’exposition proposée le 15 août 2020 à la Base de Loisirs du Fort est
justement l’histoire des Ets AGACHE tout en espérant que la situation que nous
traversons en ce moment, face au coronavirus, n’empêchera pas sa
tenue !
Comme pour les autres textes
publiés, celui-ci est écrit dans le style de l’époque.
Il est à savoir que le livre du Centenaire comporte une soixantaine de
pages. Nous en avons recopié sept pour cet article. Gageons que le reste pourra
être publié par la suite.
Le texte original est accompagné de photographies qui ne sont pas
forcément celles que nous vous présentons.
Philippe JOURDAN
Président de l’association d’histoire locale « Si Pérenchies
m’était contée… »
16 avril 2020
La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Lieu non déterminé. Périmètre de l’usine Agache. Document SPMC
numéro 820
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Texte extrait du livre du Centenaire des Ets AGACHE de
1928
« En octobre 1918, les
usines de Pérenchies et de La Madeleine-les-Lille furent rendues à la société à
la suite de l’avance victorieuse de nos armées, on put mesurer la gravité des
épreuves qu’elles avaient subies.
Plus de matières premières,
partout des monceaux de décombres, des moyens de communication très précaires
dans un pays privé de toutes ressources, enfin un personnel dont la majeure
partie était disparue ou dispersée : telle était la vision qu’offrait au
lendemain de l’armistice, le domaine industriel de la Société.
Une année allait s’écouler avant
que les ETABLISSEMENTS AGACHE puissent aborder l’œuvre de reconstitution. Cette
inaction apparente masquait le labeur opiniâtre que le Conseil d’Administration
poursuivait entre temps. Il s’agissait en effet de regrouper le personnel et de
se procurer les ressources considérables. Certes, les ETABLISSEMENTS AGACHE conservaient
intacte leur puissance financière, mais leur actif n’était plus constitué, en
majeure partie, que de créances nées de la destruction de leur domaine
industriel et de la réquisition de leurs approvisionnements et de leurs
marchandises. Le droit à la réparation de ces dommages ne devait recevoir la
consécration législative que le 17 Avril 1919. D’autre part, le recouvrement
d’importantes créances en souffrance depuis la déclaration de guerre était
entravé par des décrets moratoires. Aucun plan de reconstitution ne pouvait
être mis en œuvre dans des circonstances aussi précaires. Pérenchies,
notamment, ne pouvait renaître de ses ruines que lorsqu’une atmosphère de vie
aurait été recréée.
C’est à cette tâche préliminaire
que Mme André SAINT LEGER, femme de l’un des Administrateurs-Délégués des
ETABLISSEMENTS Agache, et M. Henri BOUCHERY, à la fois Maire de Pérenchies et
Directeur-Général de la Société, allaient consacrer toute leur énergie et tout
leur cœur.
C’est le 14 Janvier 1919 que le
premier magistrat de la cité put pénétrer dans le village de Pérenchies et
constater que les ruines dépassaient tout ce que son imagination avait pu
concevoir. Le malheur qui s’était abattu sur sa terre natale, la rendait
doublement chère à son cœur et lui imposait le devoir de ne point l’abandonner
à son triste destin. Pérenchies renaîtrait donc de ses ruines.
La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Lieu non déterminé. La vie renaît peu à peu.
Document SPMC numéro 3 720
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Ruines de la guerre 1914/1918. La rue de la Prévôté vers 1918.
A droite, l’entrée du parc du château JEANSON.
Document SPMC numéro 3 728
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Ruines de la guerre 1914/1918. Le pont de Pérenchies détruit.
Document SPMC numéro 3 729
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Né en 1856 à Pérenchies, M.
BOUCHERY entra le 20 Janvier 1872 aux ETABLISSEMENTS AGACHE. Il s’adonna avec
tant d’application et d’intelligence aux choses de l’industrie textile que vite
il fut remarqué par ses chefs, MM Edouard et Edmond AGACHE. Dès 1875, il avait
acquis dans les questions relatives aux matières premières une telle compétence
qu’il fut appelé à seconder dans les opérations d’achat, M. BERNHARD qui, dans
la retraite de M. Edmond AGACHE, avait hérité des attributions originairement
confiées à ce dernier.
Edmond AGACHE. Membre du Comité de
Direction et du Conseil d’Administration.
Livre du Centenaire des Ets AGACHE.
1928. Document SPMC
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Charles BERNHARD. Membre du Comité de
Direction et du Conseil d’Administration.
Livre du Centenaire des Ets AGACHE.
1928. Document SPMC
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Puis, comme le développement des
affaires sociales exigeait une division du travail toujours plus poussée, M.
BERNHARD limita son activité aux questions de comptabilité et d’administration
générale. M. BOUCHERY eut la charge exclusive des achats des matières premières
et de leur mise en œuvre dans la fabrication des fils. L’événement a démontré que ce choix fut
particulièrement heureux, car à l’exemple de son prédécesseur, M. BOUCHERY peut
s’enorgueillir d’avoir été, au cours d’une longue carrière, l’un des plus
actifs artisans de la prospérité de l’entreprise à laquelle il a voué sa vie.
C’est avec le même succès qu’il a, depuis son entrée à l’hôtel-de-ville, fait
bénéficier ses concitoyens, de cette passion de servir que les exigences
professionnelles ne suffisent pas à absorber. Elle devait se manifester avec un
éclat particulier dans la commune détresse d’une population jetée sans
ressources sur un sol ravagé.
Dès son retour, M. BOUCHERY
s’installa dans les ruines, en compagnie de Mme SAINT LEGER et d’une dizaine de
personnes dévouées. Un logement de fortune fut construit avec des matériaux
récupérés çà et là. C’est sous ce frêle abri que le Maire élabora par ordre
d’urgence un plan de travaux et la réorganisation des services municipaux.
Tout est à faire, la misère est
générale, et la caisse communale rançonnée par l’ennemi jusqu’au dernier sou,
est vide. Le problème administratif se double d’un problème financier dont la
solution paraîtrait à d’aucun impossible.
M. BOUCHERY ne se rebute point.
Il multiplie les démarches et réussit à obtenir des avances d’autant plus
facilement qu’il jouit d’une réputation d’administrateur vigilant et économe.
Grâce à ces crédits, le
nivellement des terres sillonnées de tranchées et criblées de trous d’obus
fournit du travail aux premiers habitants qui n’ont pas résisté à l’appel du
sol natal. Quelques baraquements arrivent. Ils sont vite érigés à côté des
abris de fortune.
Puis les prisonniers de guerre
s’en vont ; leur départ salué avec un soupir de satisfaction, accroît les
facilités de logement et provoque parmi les réfugiés de nouvelles rentrées. De
jour en jour, les conditions de l’existence s’améliorent. Les services de
l’assistance, de la voirie, de l’hygiène, de l’instruction publique
réapparaissent et étendent peu à peu leur champ d’action.
Les heureux effets de cette
organisation sont amplifiés par l’active intervention de Mme André SAINT LEGER.
Cette femme de devoir, dont l’âme est éprise d’un généreux idéal, ne prend son
parti d’aucune misère. Elle apporte à l’action administrative, toujours un peu
froide et impersonnelle, le correctif d’une souriante bonté ; elle
organise des œuvres pour venir en aide aux malheureux. La façon, dont elle
donne, ajoute un nouveau prix et une plus grande utilité aux secours répartis
par ses soins. Elle organise une cantine dans la salle des fêtes de la Rue
Gambetta, plus loin un dortoir avec 150 lits.
La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Auberge « A la ville de Schlestadt ». Rue Gambetta. Ecole
Sainte-Marie. Document SPMC
numéro 3 109
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La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 . Un
dortoir est aménagé dans la salle des fêtes de la rue Gambetta.
Document SPMC numéro 3 119
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La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Dortoir. Lieu non déterminé. Peut-être la salle des fêtes ?
Document SPMC numéro 3 132
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Des vêtements et des couvertures
sont distribués ; de la sorte, la population peut surmonter sans trop de
souffrances, les rigueurs de la mauvaise saison. Un dispensaire où les blessés
sont soignés, est créé. Mme SAINT LEGER en fait un foyer de propagande des
principes d’hygiène. Cette lutte préventive contre la maladie se révèle
pleinement efficace ; l’année 1919 enregistre en effet 11 naissances
contre 5 décès. Les jeunes filles travaillent à l’ouvroir, font des vêtements,
des layettes surtout. Elles constituent aussi leurs trousseaux. C’est dans une même pensée d’avenir qu’une
salle de consultation de nourrissons est ouverte.
La foi agissante, que Mme SAINT
LEGER et M. BOUCHERY ont su faire rayonner autour d‘eux, ne permet plus de
douter, dès le mois de Juillet 1919, de la prompte résurrection de Pérenchies.
Un à un, les corps de métiers, le boulanger en tête, réapparaissent. Une
coopérative de reconstruction, la première de la région, se fonde. Une
puissante Société d’entreprises générales, la maison PICOT de Paris, arrive
avec un matériel moderne et aborde la reconstruction par rues entières. La cité
de Pérenchies est d’ores et déjà assurée de renaître plus belle et aussi
laborieuse qu’autrefois.
La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Dos de la photo présente. Trace manuscrite d’un de ces bâtisseurs.
Document SPMC numéro 1 357 page 2
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Dans ce milieu redevenu favorable
à la vie, peu après le vote de la loi du 17 Avril 1919 qui assurait aux
entreprises sinistrées le concours de l’Etat, les ETABLISSEMENTS AGACHE FILS
purent envisager la mise en oeuvre des plans de reconstitution et de
restauration de leur domaine. Sans
parler du cataclysme russe, cause principale de la disette du lin, la pénurie
des matériaux rendait particulièrement difficile la réédification des bâtiments
industriels de Pérenchies, dont subsistaient seulement les fondations.
La reconstruction de Pérenchies entre 1918 et les années 20 .
Reconstruction de l’usine AGACHE. Lieu non déterminé.
Document SPMC numéro 825
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Pour se procurer les ressources
nécessaires aux travaux, les actionnaires décidèrent dans une assemblée
générale extraordinaire, tenue le 17 Juin 1919, de porter le capital social de
4.000.000 à 6.000.000 au moyen de la création de 4.000 actions nouvelles au
capital nominal de 500 frs émises contre espèces au prix de 1.000 frs, actions
qui furent ensuite dédoublées, le capital étant ramené de 500 frs à 250 frs.
Les fonds supplémentaires furent
demandés à un emprunt obligataire de 8.000.000 contracté par l’entremise du
Crédit Commercial de France au cours de l’année 1920. Il ne pouvait être
question, en effet, de surseoir jusqu’au jour où l’Etat aurait réglé sa dette
de dommages de guerre. Il eut été inhumain de laisser sans travail une
main-d’œuvre qui avait tant souffert. De plus, la Société risquait de perdre de
nombreux débouchés, si elle s’abstenait de reprendre au plus tôt sa place sur
le marché textile.
Il fallait donc dans
l’intérêt public, lutter de vitesse et
tirer autant que possible parti des matériaux et des pièces susceptibles d’être
encore utilisés, pour éviter de passer des commandes malaisément satisfaites ou
même inexécutées. Un millier d’ouvriers furent employés aux travaux de
déblaiement, de démontage, de réparation et à la construction proprement dite.
En dépit des difficultés de la tâche, un
embryon d’usine surgissait des ruines le 17 octobre 1919 et abordait la
fabrication du fil, un an jour pour jour après la délivrance. Un labeur obstiné
de 5 années était encore nécessaire pour que l’usine de Pérenchies retrouve sa
pleine capacité de production.……..
Vue aériennne de Pérenchies. Années 20.
L’usine est reconstruite. Quelques rangées de maisons sortent de terre.
L’église est encore en ruines.
Document SPMC numéro 922
|
C’est dans cette période
difficile et ingrate du patient ajustement du matériel et des hommes qu’eurent
à se déployer les qualités de technicité et d’endurance d’un personnel dont le
dévouement fut sans bornes. Rendons hommage à l’activité et à l’intelligence du
directeur de Pérenchies, M. ARNOLD, qui, malgré la fatigue de cinq années passés
aux armées, se montra à la hauteur d’une tâche difficile et entraîna son
personnel à la reprise du travail avec une rapidité qui méritait d’être
signalée.
Félix ARNOLD, Directeur de l’usine de
Pérenchies.
Livre du Centenaire des Ets AGACHE. 1928.
Document
SPMC
|
Ce témoignage de gratitude rendu
aux vivants doit s’accompagner d’un souvenir à la mémoire des employés et
ouvriers qui, à leur poste de combat, dans la tranchée ou à l’usine, payèrent
de leur vie, leur attachement au devoir. C’est grâce à leur sacrifice que tant
de ruines ont pu se relever. Aussi est-ce dans un sentiment de pieuse
reconnaissance que le Conseil d’Administration des ETABLISSEMENTS AGACHE a
voulu perpétuer leur mémoire. Les noms de tous ces braves ont été gravés sur des
plaques de marbre, apposées à la place d’honneur, tant au Siège Administratif
que dans les usines de la Société ».
Le ministre des régions libérées
visitent Pérenchies.
Le Grand Hebdomadaire Illustré. 1922.
Document SPMC numéro 793.
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Charles REIBEL (1882 – 1966)
Ministre des régions libérées de 1922 à
1924.
Photographie internet.
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Texte de
l’article sur la visite du Ministre des régions libérées à Pérenchies.
Le Grand
Hebdomadaire Illustré. 1922.
« M. REIBEL, le nouveau ministre
des régions libérées, a voulu que sa
première visite officielle fut pour la région de Lille, qui a tant souffert
de l’occupation et qui s’est si vaillamment mise à l’œuvre pour relever, au
plus vite, toutes les ruines accumulées par les Allemands.
Ce fut une visite un peu improvisée
que celle qu’il y fit dimanche, puisqu’on n’en fut prévenu que dans la
journée de samedi. Elle porta spécialement ; et ceci n’est probablement
pas le fait du hasard, sur des localités industrielles des abords de Lille et
qui jalonnent la zone qui fut la plus éprouvée par la bataille, puisqu’elles
se trouvaient sur la ligne même du feu.
Ce furent La Bassée, Armentières,
Pérenchies, Quesnoy-sur-Deûle, Comines.
Constatons que M. Reibel a été
vivement impressionné par les signes qui accusent nettement dans nos
malheureuses régions un élan vers la reconstruction de nos cités et de nos villages, élan qui
permet d’entrevoir l’avenir sous un jour consolant, car il marque une étape
que l’on peut considérer comme décisive vers une reconstitution totale.
Il ne manque pas de préciser cette
impression, et on sentait que ses paroles n’avaient pas, dans sa bouche, un
caractère de banalité, protocolaire, mais un accent de sincérité bien nette.
La caravane officielle, forte d’une demi-douzaine
d’autos, arriva à Pérenchies vers neuf heures.
M. Bouchery, maire, insista sur la
situation budgétaire de la commune. M. Reibel répondit, en quelques mots
nettement scandés, et de suite on se dirigea vers les immenses établissements
Agache, comprenant sur six hectares, filature de lin au sec et au mouillé,
tissage et vastes magasins.
M. Saint-Léger, administrateur, se
fit un plaisir de piloter le groupe, jetant dans la conversation les détails
qui se rattachent à la destruction et à la renaissance de ces usines. Elles
ont reçu plus de six mille obus. Deux ans après la guerre, ces bâtiments
qu’il avait fallu quatre ans pour anéantir, étaient presque tous debout. Les
magasins renferment près de 12 millions de marchandises ; dans les
ateliers tournent 30.000 broches ; les chaudières furent réparées ;
la machine forte de 2.500 chevaux ajoutant en force à celle qui fournit une
source d’énergie électrique.
Au sortir de l’usine, on passa devant
l’emplacement du château ; il en reste exactement la pièce d’eau qui
l’entourait, la grille déformée et tordue et quelques amas de pierres. Plus
loin, ce sont les groupes de maisons ouvrières appartenant à la société.
Une heure et demie plus tard, la
caravane se trouvait à Quesnoy-sur-Deûle… »
|
Des journalistes canadiens visitent les
usines Agache à Pérenchies en juin 1924.
Le Grand Hebdomadaire Illustré. Document
SPMC numéro 599
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Si Pérenchies m’était contée…
67, rue Jean MOULIN
59840 PERENCHIES
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Correction et
édition : Jean-Pierre COMPERE, Administrateur du Blog.
16 avril 2020
Bonjour,
RépondreSupprimermerci pour ce bel article.
J'ai vu une allusion à un château Jeanson. Coïncidence, en face de chez moi, dans le Marais de Lomme, il y avait une usine de textile Jeanson. Je suppose qu'il doit s'agir de la même famille.
Bonne journée
Frédéric Faucon
Comme toutes les familles du textile de notre région, le nombre d'enfants était important et si on ajoute les cousins, on comprend mieux l'expression "dynastie du textile". Ainsi la famille AGACHE étaient composée de 7 enfants. Les filles ont épousé d'autres grandes familles comme les KUHLMANN... Cela était sans doute la même chose pour la famille JEANSON dont je ne connais pas l'arbre généalogique. Philippe JOURDAN, ce 29 avril 2020.
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