Pierre Haigneré |
Le 10 avril
1944, un déluge de bombes s’abattait sur la cité de Lille Délivrance et sur la
gare de triage faisant un grand nombre de victimes et provoquant d’immenses
destructions dans la gare mais surtout sur les maisons des cheminots dont plus
de la moitié était dévastée et rendue inhabitable.
Ma famille
vécut cet enfer, blottie sous l’escalier, et sortit quasiment indemne pour
rejoindre les autres habitants qui, hébétés, contemplaient la désolation du
quartier et essayaient avec des moyens dérisoires de sauver les personnes
enfouies sous les décombres.
Carte postale Lille-Délivrance
vers les années 20 à 30
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Carte postale "Lille Délivrance" avant 1945 |
Les ruines de Lille-Délivrance après le 10 avril 1944 |
Document après le bombardement
de Lille Délivrance.
(Frédéric Faucon, président de
"Lomme des Weppes")
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Pendant
deux à trois jours, nous errâmes dans des abris provisoires mis à disposition
par des voisins compatissants mais il fallut rechercher un logement plus
pérenne et nous prîmes la route avec une carriole tirée par un âne emmenant le
peu de mobilier pas trop endommagé pour nous réfugier chez une vieille dame
propriétaire d’une ancienne forge au hameau du Fresnel entre Pérenchies et
Houplines composé de quelques fermes et de maraîchers.
La rue du Fresnel à
Pérenchies.
(Géoportail. IGN 2019) |
Ce fut une
vraie surprise pour mes parents, mes deux frères et moi même. Agé de 8 ans, je
découvrais un monde rural jusqu’alors inconnu qui ouvrait des espaces immenses
consacrés à l’agriculture et au maraîchage d’où étaient absents les commerces
traditionnels mais surtout l’école, le stade et la piscine que je fréquentais
assidûment dans mon quartier cheminot aujourd’hui anéanti.
Pierre Haigneré à l’âge de 7 ans, un an avant les faits racontés. |
Nous étions
devenus des « sinistrés » ou selon le cas, des
« réfugiés ». Une nouvelle vie commençait avec les nombreuses
contraintes d’un éloignement de toutes les structures éducatives et
commerciales. Le matin, il me fallait partir assez tôt pour rejoindre à pied
les classes de l’école primaire de Pérenchies qui se trouvait à 2km500m et
cette distance, il me fallait la parcourir par tous les temps quatre fois par
jour!
La rue de la Prévôté à
Pérenchies. Années 20 à 40.
(Carte postale "Si
Pérenchies m'était contée..." numéro 1 179)
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Cette
contrainte ne dura pas trop longtemps car ma mère, sur un conseil médical,
jugea qu’il était préférable de rester le midi aux abords de l’école et, faute
de cantine, m’équiper d’un sac dans lequel elle pourrait loger une
« gamelle » contenant quelques légumes à réchauffer et à consommer sur place.
Il fallait
pour cela trouver un abri bienveillant proche de l’école et c’est ainsi que je
pris pension au café Marseloo sur la place de l’église où je reçus un très bon
accueil pendant tout mon séjour à Pérenchies.
La Grand'Place et ses cafés.
Années 30 à 40.
(Carte postale "Si
Pérenchies m'était contée..." numéro 1 228)
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Le café Marseloo le 25 mai 1943. Mme Marseloo
et sa fille.
(Photographie SPMC numéro 269)
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La guerre
toutefois continuait et, dans le ciel d’été, les avions brillaient sous le
soleil mais leur charge mortelle était cette fois destinée au sol allemand dont
les troupes, sous pression, commençaient leur repli en évitant les grandes
routes.
C’est ainsi que leur itinéraire de retraite
conduisit certaines unités à circuler par la petite voie départementale passant
devant le Fresnel et même à s’y arrêter suite à une attaque imprudente de
quelques résistants du côté de la barrière de Prémesques.
Des soldats
firent irruption dans le petit café où les habitants s’étaient réfugiés
partageant leur peur en se regroupant. J’ai un net souvenir de la scène qui
suivit car le temps s’était arrêté lorsqu’un officier pointant son arme nous
dévisagea pour tenter de trouver un coupable.
Ce fut
certainement un moment dont les témoins de la scène se souviennent encore car
s’il ne dura que quelques minutes, son intensité nous marqua pour toujours.
1er juin 1940. Un évhicule
allemand fait son entrée à Pérenchies
et passe entre la mairie et le
café de Mme Marseloo.
(Document "Si Pérenchies
m'était contée..." numéro 5 939)
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Soldats allemands en 1940 qui passent devant le cimetière de Pérenchies
afin de se rendre dans un
château de Lompret.
(Document "Si Pérenchies
m'était contée..." numéro 5 557)
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Soldats allemands en 1940 au château Villers à Lompret.
(Document "Si Pérenchies
m'était contée..." numéro 5 556)
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Deux autres
scènes sont liées à cette période troublée. C’est d’abord une lutte perdue que
mena courageusement ma mère avec un soldat allemand qui voulait emporter le
seul vélo de la famille permettant à mon père d’aller travailler.
Le café Marseloo vers 1943. Mme Marseloo, sa fille et d'autres personnes..
(Photographie SPMC numéro 254)
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Le café Marseloo. Mme Marseloo. L'intérieur.
(Photographie SPMC numéro 251)
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L’autre
souvenir plus réconfortant car il se situe en fin des hostilités et alors que
je prenais mon repas, c’est d’avoir été témoin du retour des camps de
prisonniers, après cinq ans d’absence, du mari de Mme Marseloo qui, non
prévenue, manifesta une immense émotion que j’ai en partie partagée et dont la
mémoire reste vive.
Cette
parenthèse agreste (NDLR : rustique) prit fin en 1945 mais j’emportais, outre
les scènes guerrières, des souvenirs plus proches du quotidien des fermiers et
des maraîchers notamment en aidant notre voisin à repiquer des plants de
poireaux dans un champ qui me paraissait sans limites me causant des
courbatures toute une semaine.
Le terrain
de jeux que constituaient les champs de blé tout juste moissonnés avec leurs
bottes de paille éparpillées nous donnaient de multiples occasions d’inventer des histoires de bataille d’autant
que les escadrons militaires dans leur passage avaient laissé des quantités de
munitions que, dans notre inconscience, nous manipulions sans vergogne.
Mon grand
plaisir restait le retour au domicile, en fin de journée d’été, qui s’effectuait
dans la carriole du fermier tirée par un grand cheval avec parfois le droit de
tenir les rênes quelques instants dans ces chemins vicinaux où ne circulait
aucune voiture.
Photo d'illustration pour
l'article. Non datée.
G. Verwaerde-Dubois. Quartier
de la Prévôté à Pérenchies.
(Photographie SPMC numéro 1 739)
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Photo d'illustration pour
l'article. Non datée. Années 50.
Des maraichers dans le
quartier de la Prévôté et du Fresnel à Pérenchies.
Henri et Anne-Marie Jourdan..
(Photographie SPMC numéro 1 711) |
Le départ
pour retrouver la cité de cheminots fut un moment important de mon enfance car
à la rupture tragique de la guerre s’y était ajouté cette parenthèse que
constitua le partage pendant deux années du mode de vie du monde agricole avec
sa relation au temps rythmée par les saisons et les variations climatiques.
J’en garde
un souvenir ému et j’utilise encore aujourd‘hui une partie de mon temps libre
pour retrouver les parcours d’enfance à travers les champs et les petites mares
bordant les fermes où pataugeaient les familles de canards sous les branches basses des saules.
Lomme le 13
novembre 2018.
Pierre Haigneré
Pierre Haigneré |
Texte : Pierre Haigneré.
Recherche documentaire : Philippe Jourdan,
président de "Si Pérenchies m'était contée...".
Documents sur le bombardement : Frédéric
Faucon, président de "Lomme des Flandres".
Mise en page : Jean-Pierre
Compère.
31 Juillet 2019
NDLR : lors d'une rencontre à l'occasion du forum des Weppes, M.
Haigneré m'informa de ses souvenirs relatifs à cette période difficile de notre
histoire. Peu de temps après, il nous envoya ce texte que nous avons complété
avec quelques uns de nos documents. N'hésitez pas à en faire de même. Tous ces
moments de vie de votre mémoire en rapport avec l'histoire de notre ville et de
ses habitants, vous seuls pouvez les inscrire dans notre mémoire collective et
ainsi ouvrir de nouvelles pages du passé de Pérenchies. Si vous ne le faites
pas, c'est tout un pan de notre patrimoine qui restera dans l'oubli et
l'ignorance.
Les membres de l'association d'histoire locale "Si Pérenchies
m'était contée..." le remercient pour ce partage et l'apport qu'il
fait dans la connaissance de notre
passé.
Philippe Jourdan
bonjour , pour moi c'est une grande joie de voir que ce Monsieur a connu , LILLE DELIVRANCE , mon grand-père a été cheminot pendant la guerre , il me parlait souvent de sa locomotive la LISON , il a vécu a LILLE DELIVRANCE jusqu’à sa mort en 1972 , il a été concierge de la piscine avec ma grand mère , il y avait 3 terrain de tennis et un grand terrain de sport , maintenant c'est un lycée , peut être que ce Monsieur connaissait mon grand père , il s'appelait MONSIEUR LEON HOUZE , ci joint 2 photos ou mon grand père était concierge.
RépondreSupprimerPetit bonjour de Nouvelle-Calédonie de la part d'un enfant de la cité des cheminots (Lille-Délivrance).
SupprimerPour l'anecdote je me nomme Bernard Ledroit ( Ledroit de Lomme ! ) né au lendemain de la guerre, le 14 avril 1946 au 3 rue Charles Rattez (devenue rue Goeth)