Histoire d’une personne ordinaire qui a accompli des faits extraordinaires…
Didier DELIGNE, membre de notre association, participe de temps à temps à nos manifestations et nous envoie alors des photos de celles-ci. Son épouse, Geneviève, pratique la peinture et la gravure lors de ses temps libres et ouvre chaque année son atelier aux visiteurs dans le cadre de l’opération « Portes Ouvertes des Ateliers d’Artistes », organisée par le Conseil Général du Nord.
Dernièrement, il m’a raconté
une histoire extraordinaire concernant sa grand-mère, m’a envoyé des documents
et invité à une cérémonie officielle en mairie de Lille, ce 20 novembre 2022.
La grand-mère de Didier DELIGNE, Louise VIDAL, Veuve DELIGNE (04/08/1894-21/06/1978), a été désignée comme Juste parmi les Nations pour avoir caché un enfant juif, Marcel KAIZLER, durant la Seconde Guerre mondiale à Lille.
Une médaille lui a été
décernée et remise à Didier DELIGNE, l’aîné présent de la famille.
Le nom de Louise DELIGNE sera
inscrit sur le mur de monuments commémoratifs de la Shoah à Jérusalem et à
Paris.
Des descendants de Marcel
KAIZLER étaient venus spécialement d’Israël pour l’événement.
Mme Louise DELIGNE-VIDAL. Provenance : famille DELIGNE. |
Médaille et diplôme des Justes parmi les Nations décernés à Louise DELIGNE le 20 novembre 2022. Photographie Famille DELIGNE. |
Marcel KAIZLER est né en 1927
à Anvers. Il est le fils de Samuel Kaizler, né en 1893 en Hongrie, et de Eva,
née Krengel en 1894, à Anvers.
Il a une sœur dénommée Esther.
Leur père décède d’une maladie
rénale alors que Marcel n’est âgé que de 8 ans et demi.
En 1938, Esther part
s’installer en Palestine et la mère reste seule avec Marcel.
Quand la guerre est déclarée
en 1939 et que l’Allemagne envahit la Pologne, la mère prend en charge 2
réfugiés d’Allemagne, Helmut et Truda HOCHMANN, dont les parents ont été
arrêtés par la autorités belges comme étant citoyens allemands et donc ennemis
de la Belgique.
Quand les troupes allemandes envahissent la Belgique en mai 1940, commence la fuite en avant. Une personne de la famille, Berta VYLNED ainsi que son mari veulent amener tout ce monde-là à prendre un vol vers l’Angleterre mais le chauffeur de taxi supposé les amener à l’aérodrome refuse de les prendre et ils ratent leur avion. Ils retournent en Belgique avec les deux enfants HOCHMANN. Eva et Marcel se replient sur le train et arrivent après bien des péripéties à Lille. Sur place ils découvrent que les troupes allemandes les ont devancés et qu’elles occupent la ville. Selon le témoignage de Marcel, ils se sont retrouvés en ville sans savoir quoi faire quand arrive une jeune fille de 16 ans. La mère de Marcel l’interroge pour l’adresse d’un hôtel et comme la jeune fille ne sait pas, elle va chez elle pour demander à sa mère, Louise DELIGNE-VIDAL. Celle-ci les invite à venir chez elle.
Mme Louise DELIGNE-VIDAL. Provenance : famille DELIGNE. |
Louise DELIGNE est une veuve,
mère de 6 enfants, dont seulement 4 vivent avec elle à cette époque.
Les 6 enfants de Louise DELIGNE, Anne-Marie, Aimé, Paul, le père de Didier, Germaine, Marie-Thérèse et André. Provenance : famille DELIGNE. |
Elle décide de loger les
réfugiés dans l’appartement de ses voisins qui ont fui vers le sud de la
France. Elle les accueille bien qu’elle sache qu’ils sont juifs.
Un mois plus tard, les Allemands renvoient les réfugiés vers leurs lieux d’origine. Avant la séparation, Louise leur dit que si jamais ils ont besoin de quoi que ce soit, qu’ils n’hésitent pas à faire appel à elle.
La vie reprend ainsi son cours à Anvers jusqu’à que commencent les premières mesures de répression envers les juifs.
Ils doivent échanger leurs
cartes d’identité contre de nouvelles avec le tampon « JOOD ». Par prudence, la
mère conserve leurs anciennes cartes d’identité et, de temps en temps, les
utilise selon le besoin. A l’époque, Marcel et sa mère habitent chez une proche
du nom de Ernestine BRICHE.
Quand les premières
déportations débutent en 1942, arrivent des lettres des personnes arrêtées pour
demander qu’on leur envoie de la nourriture. La mère de Marcel utilise alors sa
carte d’identité vierge du tampon « JOOD » pour aller en France chercher du
ravitaillement.
Mme KAIZLER, la mère de Marcel. Document famille KAIZLER. |
Marcel ne se souvient pas
précisément de la date mais, un jour de 1942, la milice flamande vient les arrêter
alors que sa mère est absente. Il entend qu’on frappe fort à la porte et que
l’on crie son nom. Il comprend tout de suite qu’il doit se cacher et
disparaitre. Il va dans la chambre à coucher de sa mère et découvre qu’il y a
un petit espace entre le lit et le mur. Il s’y trouve quand la milice, après
avoir enfoncé la porte d’entrée, entre dans la chambre et commence à la
fouiller. Marcel retient sa respiration. Les miliciens le cherchent mais ne le
trouvent pas bien qu’ils l’aient entendu plus tôt. Ils voient alors une fenêtre
ouverte et présument qu’ils se sont enfuis par là. Ils leur semblent même voir
une ombre courir. Un des miliciens tire et ils descendent précipitamment à la
poursuite de ce qu’ils croient avoir vu. Marcel y voit un miracle, d’autant
plus que sa mère avait déplacé le lit quelques jours avant pour pulvériser du
produit sur des insectes.
Quand sa mère revient, Marcel
lui raconte ce qui s’est passé. Elle décide alors de l’envoyer immédiatement
chez Louise à Lille.
Louise connaissant bien un concierge d’un immeuble près de chez elle, le paie afin qu’il aille chercher le garçon et le ramène chez elle. Elle accueille l’enfant avec beaucoup d’affection et lui trouve un endroit pour dormir dans une pièce servant de cagibi. Il ne sortira pas de l’appartement car le danger est grand et il y reste 5 mois. Il partagera alors les jeux du plus jeune enfant de Louise, André, toujours vivant en 2022. Il est d’ailleurs le parrain de Didier DELIGNE.
Louise prend des risques énormes car elle n’est pas à l’abri d’une dénonciation de ses voisins
Après 150 jours, Mme KAIZLER vient
chercher son fils et ils se réfugient pendant quelques jours chez une famille
juive qui leur conseille de prendre contact avec la croix rouge afin d’envoyer
Marcel au Préventorium de Saint-Jans Cappel, alors géré par deux religieuses
dont Marcel ne se souvient pas des noms. Il y restera 2 ans. Pendant ce temps,
sa mère retourne en Belgique et se cache chez une veuve du nom de BLONDIAU.
A la fin de la guerre, Marcel revient à Anvers puis se joint à un mouvement de jeunesse. La même année, il décide de quitter la Belgique et part s’installer en Palestine pour intégrer le Kibboutz « Beerot Itzhaq ».
Le 16 mars 2021, Yad Vashem, Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné à Louise DELIGNE le titre de Juste parmi les Nations.
La plupart de ses descendants
découvre alors cette magnifique histoire.
Marcel KAIZLER. Provenance : famille KAIZLER. |
La maison à Lille, rue MASUREL. Google Maps. |
Quelques descendants de Louise DELIGNE devant la maison natale. Provenance : Didier DELIGNE. |
Le 20 novembre 2022, les
descendants de Marcel KAIZLER et de Louise DELIGNE se retrouvent en mairie de
Lille pour la cérémonie officielle de remise de cette distinction.
Didier DELIGNE y a également
invité Brigitte LISO, notre député, et Philippe JOURDAN, président de
l’association d’histoire locale « Si Pérenchies m’était contée… ».
Celui-ci échangera avec la
directrice de l’institution qui a remplacé le préventorium de Saint-Jans-Cappel
et avec des responsables de l’histoire locale de ce village, présents à la
cérémonie.
Celle-ci fut magnifique et pleine d’émotion. Les personnes présentes ont eu le sentiment d’avoir vécu une page historique de notre histoire nationale.
Voici quelques photographies
de celle-ci.
Cérémonie du 20 novembre 2022 à la mairie de Lille. Remise de la Médaille des Justes parmi les Nations à Louise DELIGNE. L’assemblée. Photographie Famille DELIGNE. |
Cérémonie du 20 novembre 2022 à la mairie de Lille. Remise de la Médaille des Justes parmi les Nations à Louise DELIGNE. Les familles KAIZLER et DELIGNE. Photographie Famille DELIGNE. |
Cérémonie du 20 novembre 2022 à la mairie de Lille. Remise de la Médaille des Justes parmi les Nations à Louise DELIGNE. Martine AUBRY, maire de Lille. Photographie Famille DELIGNE. |
Cérémonie du 20 novembre 2022 à la mairie de Lille. Remise de la Médaille des Justes parmi les Nations à Louise DELIGNE. Vue de l’assemblée. Photographie Famille DELIGNE. |
Cérémonie du 20 novembre 2022 à la mairie de Lille. Remise de la Médaille des Justes parmi les Nations à Louise DELIGNE. La fille de M. KAIZLER. Photographie Famille DELIGNE. |
Philippe JOURDAN, intéressé
par l’histoire d’une famille de Pérenchinois, a contacté Saint-Jans-Cappel afin
d’avoir plus d’information sur le sujet.
Il contacte alors Anthony DUTHILLEUL
qui vit dans notre commune mais exerce sa fonction de DGS à la mairie de
Saint-Jans-Cappel.
Celui-ci transmet alors la
demande à Christian MONIER, Président du Club d'Histoire Locale, qui peut,
ainsi, répondre à plusieurs de nos questions.
Le bâtiment du préventorium de Saint-Jans-Cappel, dans les années 1939/1945, se situait chemin de la glaise qui était à l'époque le seul chemin carrossable.
L’ancien bâtiment
a été détruit il y a deux ans afin
de créer des bâtiments plus adaptés aux enfants autistes.
C’est aujourd’hui un IME.
Le préventorium de Saint Jans Cappel. INTERNET. Carte postale. |
Le préventorium de Saint Jans Cappel. INTERNET. Carte postale. |
Ce préventorium était géré
par la Croix Rouge Française. La directrice emblématique était
Mme VANLANDE en particulier durant la seconde guerre mondiale.
Mme VANLANDE, directrice du préventorium de Saint-Jans-Cappel, et résistante. |
M. MONIER finalise actuellement
un livre sur le sujet avec de nombreuses photos dont beaucoup inédites. Il
travaille avec les enfants autistes et leur institutrice pour la création de
la couverture du livre qui devrait être fini début 2023.
Il est joignable sur l’adresse
suivante : clubhistoirelocalesjc@aol.com
Mlle DELIGNE, Mme KAIZLER et Mme DELIGNE après la guerre. Famille KAIZLER. |
Les descendants de M. KAIZLER, présent au centre, mais aujourd’hui décédé. Document famille KAIZLER. |
Merci à Didier
et à sa famille d’avoir invité notre association d’histoire locale à vivre cet
événement.
Réunion du 24 novembre 2022 des membres actifs de SPMC en présence de Didier DELIGNE. Durant la réunion, est évoquée l’histoire de sa grand-mère. Photographie Patricia LESSART. |
Pour conclure, retenons ces deux belles phrases citées plusieurs fois lors de la cérémonie :
« La véritable histoire est faite par des gens ordinaires qui ont vécu des moments extraordinaires ».
« Quiconque
sauve une vie, sauve l’univers tout entier ».
La médaille des Justes parmi les Nations. INTERNET. |
Philippe JOURDAN
Président de
SPMC
Le 10 décembre
2022.
Correction et édition : Jean-Pierre COMPERE, administrateur du Blog