Agache c’est Pérenchies, Pérenchies
c’est Agache a-t-on coutume de dire. Mais Agache c’était aussi plusieurs usines
dans la région de Lille. Ainsi à Seclin il y avait deux usines, une
filature de lin au mouillé dans le quartier de Burgault, et une ficellerie
située dans la rue des martyrs. Il y avait aussi une filature de lin au mouillé
à La Madeleine et une filature de coton, fermée déjà depuis longtemps. J’ai
travaillé dans chacune de ces usines au cours d’une carrière qui a duré 40 ans.
Mais prenons les choses par le début.
Je suis né le 30 juillet 1931 à
Prémesques. Toute la famille est venue s’installer au 51 de la rue Ampère à
Pérenchies le 1er octobre 1936. J’ai suivi les cours de l’école des garçons de
la rue Henri Bouchery jusqu’au certificat d’études primaires. A 14 ans, comme
beaucoup de garçons à cette époque je suis entré dans le monde du travail. Mon
père qui avait toujours rêvé d’être jardinier nous avait orientés, mon frère et
moi vers ce métier. Mais l’école d’horticulture était hors de prix et nous
avons été placés en apprentissage chez des artisans horticulteurs. Pendant deux
ans j’ai donc travaillé à Lomme la Mitterie dans les serres d’un fleuriste âgé
qui me faisait travailler 6 jours par semaine pour un salaire ridiculement bas
et sans être déclaré. Pas de congés et pas de majoration pour les heures
supplémentaires. Au bout de deux ans j’en avais assez de ce régime et j’ai
déclaré que je n’irais plus travailler là. Mon père m’a alors proposé d’aller
travailler à l’usine. J’ai donc été embauché en décembre 1947 à l’atelier des
peignerons et du jour au lendemain j’ai vu mon salaire multiplié par trois.
Puis je suis allé faire mon service
militaire. De retour de l’armée j’ai demandé à rencontrer le directeur de l’usine, Monsieur Barbier, lui
disant que je ne souhaitais pas rester ouvrier peigneron toute ma vie, que
j’avais l’ambition de prendre des responsabilités dans l’entreprise. Il m’a
répondu « je n’ai rien pour toi, mais je sais qu’à Seclin on cherche un
chronométreur. Si cela t’intéresse, j’en parlerai à Monsieur Gilles Crespel et
s’il est d’accord tu feras un stage chez les chronométreurs ici à Pérenchies,
puis tu iras à Seclin ». J’ai tout de suite accepté.
Le 2 mai 1954 je me présente à l’usine de
Seclin Burgault, au bureau du directeur. Il me dit « Ah c’est vous le
chronométreur eh bien moi des chronométreurs, je n’en veux pas, mais Monsieur
Gilles m’y oblige, alors il y a là à côté un petit bureau qui est libre, vous
vous y installerez et vous ferez ce que l’on vous a dit de faire ».
J’étais quelque peu désappointé par cet accueil bien peu avenant. Monsieur
Wédier (c’était son nom) m’a présenté à un chef de fabrication lui demandant de
me faire visiter l’usine que je n’avais jamais vue. J’ai insisté pour
approfondir la visite de l’atelier de bobinage car c’était là que je devais
faire mes premières armes. Il s’agissait de mettre en place un système de
salaire au rendement. Cela
avait été fait à Pérenchies et fonctionnait apparemment à la satisfaction de
tous, sauf des syndicats. L’atelier de bobinage ne comportait que des femmes
reconnues pour leur dextérité et quelques hommes manutentionnaires Les machines
étaient les mêmes que celles de Pérenchies, le travail aussi. Rien ne
s’opposait à ce que ce système soit mis en place. J’ai quand même du faire
preuve de beaucoup de patience et de persuasion. Mais bien vite des femmes qui
se sentaient plus rapides que d’autres, plus motivées aussi ont compris que
pour le même travail elles gagneraient un plus gros salaire, puisque avec
l’ancienne méthode le salaire horaire était identique pour celles qui
travaillaient vite que pour les moins
rapides. En quelques mois les choses étaient en place et admises par tous, bien
que les syndicats se disaient toujours opposés. Monsieur Wédier avait lui aussi
changé d’avis mais tenait à ce que l’expérience se limite à l’atelier de
bobinage. Six mois après mon arrivée à l’usine il s’est occupé à me trouver
d’autres activités. Adieu le chronométrage. Je m’occupais désormais de la
fabrication, des productions et de multiples contrôles. Les choses ont duré
ainsi pendant 5 ans. Cette usine qui avait été rachetée précédemment à Monsieur
Drieu venait d’être équipée d’un nouvel atelier de filature installé dans une
vaste salle entièrement réaménagée dans laquelle se trouvaient des métiers à
filer neufs fournis par un constructeur de Tourcoing, les établissements
Duvivier. C’était les premiers métiers construits en France à équiper une usine du groupe Agache. Jusque
là toutes nos machines venaient de constructeurs irlandais et étaient construites
en mesures anglaises. (Pouces, pieds, yards etc.) Les anglais n’ont jamais
admis les mesures métriques. C’était merveille de voir tourner ces machines,
tant elles étaient perfectionnées. Chaque ouvrière suivait quatre faces sans
difficulté et avec une parfaite rentabilité. Nous y faisions des fils à tisser
de numéro 12 au 36 métrique, c'est-à-dire 12000 à 36000 mètres kilo, les
numéros les plus fins servant à tisser des toiles très légères. Hélas en 1967,
cette filature fut la première à être condamnée et a été fermée. Tout ce
matériel a été livré à la ferraille. A cette époque, il y avait déjà 8 ans que
j’avais été muté à l’autre usine de Seclin, la ficellerie de la rue des
martyrs. Il s’y était passé un événement important. Pour des raisons que j’ai
toujours ignorées, le directeur de cette usine a été démis de ses fonctions.
Monsieur Wédier a été pressenti par les frères Willot pour le remplacer tout en
gardant la direction de la filature de Burgault. Il m’a dit « Gabet vous
allez venir avec moi, nous allons travailler à la ficellerie ». C’était au
printemps 1959. Les débuts furent difficiles. Un changement aussi brutal ne se
fait pas sans mal. Nous nous sommes d’abord heurtés à un chef de fabrication
qui se donnait le titre de directeur adjoint et qui avait la prétention d’en
remontrer à Monsieur Wédier, ce qui n’était pas fait pour arranger les choses.
Le climat était déjà à l’orage. Ce personnage a tenté de me mettre dans sa
poche en voulant me dresser contre Mr Wedier. Ce fut peine perdue. Je n’en
parlais pas à notre directeur mais celui-ci avait parfaitement compris à qui il
avait à faire et pour remettre à sa place ce fameux « directeur
adjoint » il m’a nommé chef de fabrication à égalité avec l’autre et par
la même occasion, m’a promu cadre. Nous étions placés chacun dans une équipe.
Peu à peu les choses sont rentrées dans l’ordre. Deux ans plus tard Monsieur
Wédier prenait sa retraite, il avait 65 ans. Se sont succédés alors deux jeunes
ingénieurs qui ont apporté une modernité dont l’usine avait bien besoin, ce qui
eut pour effet de soulager les
contremaîtres dans l’accomplissement de leur tâche.
Mais je n’ai pas encore dit ce que nous
fabriquions dans cette ficellerie. Il y avait un département lin dans lequel
tournaient cinq cardes, deux assortiments de préparation à la filature et deux
métiers à filer au sec. Nous y faisions deux numéros de ficelle, la grosse pour
des clients qui retordaient ces fils
pour en faire des cordes, d’autres pour
confectionner des semelles d’espadrilles, d’autres encore pour confectionner les
âmes des câbles métalliques pour les houillères. L’autre métier faisait des
fins numéros pour des clients qui polissaient ces fils pour en faire de la
ficelle de boucherie entre autres choses. C’était environ 2 tonnes de ficelles
de lin que nous produisions chaque jour.
L’autre département fabriquait de la
ficelle en sisal. Le sisal est une fibre qui est contenue dans les feuilles
d’agaves, ces plantes qui sont cultivées dans les régions tropicales d’Amérique
et d’Afrique. Les feuilles, de 80 cm à 1
mètre de longueur sont séchées afin de permettre la séparation des fibres de
l’écorce puis assouplies avant de nous parvenir. Elles sont traitées comme tous
les textiles naturels longs brins sur des machines à peigner avant d’arriver aux
métiers à filer. Nous fabriquions toute une gamme de produits et avions une
clientèle très assidue. En ficelle pour l’agriculture, les métiers à filer
tournaient 24 heures par jour et 6 jours
par semaine. En 1959, l’essentiel de notre production de ficelle
agricole était destiné aux moissonneuses
lieuses, un seul métier travaillait pour les presses ramasseuses, et deux pour
les moissonneuses lieuses. Ce type de ficelle fut de moins en moins demandé car
les moissonneuses lieuses disparaissaient des champs au profit des
moissonneuses batteuses. Il nous fallait
adapter nos fabrications afin de fournir plus de ficelles grosses pour
les presses ramasseuses. Nous nous sommes équipés de métiers en conséquence.
Nous faisions aussi des ficelles pour l’emballage, monobrin ou retordues en deux ou trois brins.
A notre carte nous avions aussi les
ficelles teintes destinées à la fabrication de tapis et carpettes. Nous
n’avions qu’un seul client pour cet article, mais nous travaillions toute
l’année pour lui. Nous avions un atelier de teinturerie pour répondre à toutes
les exigences de notre client. L’usine avait beau tourner 6 jours par semaine pour
l’agriculture, nous ne fabriquions jamais assez. Nous n’étions cependant pas
les seuls sur le marché. Rien qu’en France il y avait la ficellerie du Vert
Gazon à Valenciennes, Carmichaêl et Saint Frères dans la Somme, la ficellerie
Bhir en Lorraine et une à Bruges dans la banlieue de Bordeaux. Il y en avait aussi en Belgique, Allemagne,
Portugal, Espagne et Italie. En ficelle sisal nous produisions au total 13 à 14
tonnes jour.
Puis nous avons vu disparaitre Messieurs
René Descamps et Max Descamps et arriver Monsieur Droulers qui a disparu lui aussi
quelques années plus tard. C’était l’époque où bien des Pérenchinois sont allés
faire un petit stage en Italie car Monsieur Droulers était aussi le patron du
Linificio dans le nord de l’Italie. Alors sont arrivés les frères Willot et
avec eux quelques bouleversements. C’est ainsi que les services commerciaux et
comptables ont été prié de quitter le siège social de la rue de Vieux Faubourg
à Lille et d’aller s’installer dans les usines. En ce qui concerne la
ficellerie de Seclin le directeur commercial est devenu….directeur de l’usine.
Hélas ce brave homme ne connaissait rien à la fabrication et de ce fait ne mettait
jamais un pied dans les ateliers. C’est à cette époque que mon collègue chef de
fabrication qui se livrait depuis bien des années à des malversations
financières s’est fait pincer par la dénonciation des contremaîtres qui étaient
les victimes de ces malversations. Quand les frères Willot ont appris la chose ils
ont ordonné sa mise à la porte immédiate. Je me retrouvais donc seul chef de
fabrication. La conséquence immédiate fut que le climat s’est sensiblement
amélioré. Notre directeur (commercial) ignorait et a toujours ignoré les
délégués syndicaux, les délégués du personnel, les comités en tout genre et je
fus chargé de m’occuper de toutes ces obligations qui n’avaient rien de bien
agréable mais que la loi exigeait. Heureusement tous les délégués bien que
cégétistes avaient l’esprit ouvert et n’étaient pas des entêtés bornés.
A ce propos, Monsieur Gilles Crespel qui était notre grand
patron parce que plus près de nous que les frères Willot venait de temps en
temps s’entretenir avec la déléguée CGT. Il arrivait à l’usine, ne se rendait
même pas au bureau du directeur, entrait dans les ateliers, me cherchait pour
me demander si Colette était là et sur ma réponse positive se rendait
immédiatement auprès du métier où Colette travaillait et pendant une heure
parfois plus et dans le bruit des machines ils s’entretenaient en longs
palabres. Colette devait demander à une collègue de la remplacer afin de ne pas
mettre le métier à l’arrêt. Je n’ai jamais su ce qu’ils se racontaient. Après
cela Mr Crespel partait comme il était venu.
Au cours de ces années les machines
agricoles se modernisaient rapidement. Les presses ramasseuses se faisaient
rares et étaient remplacées par les « Round baller ». Ces presses
utilisées pour le foin comme pour la paille confectionnent des balles rondes
d’une contenance de plusieurs centaines de kilos. Il nous fallait encore une
fois nous adapter. Nous avons acheté une extrudeuse en Italie pour fabriquer une
ficelle synthétique (Polypropylène) que
nous colorions en noir pour la protéger des rayons ultra violets. Cette machine
avait une capacité de production de 30
kilos à l’heure. Elle est rapidement devenue très insuffisante pour satisfaire
la demande. Nous avons donc acheté une seconde machine d’une capacité de 150
kilos heure. Cette machine n’étant pas équipée de bobineuses, je me suis rendu
en Allemagne, près de Nuremberg, chez un constructeur de matériel pour acheter les
machines dont nous avions besoin. Et il nous a fallu former du personnel à la
conduite de toutes ces techniques jusque là inconnues. La ficelle de sisal agricole
se trouvait un peu à la fois remplacée par cette ficelle synthétique. Nous nous
sommes aussi essayé à la fabrication de ficelle teintée en vert destinée à la
fabrication de pelouses artificielles pour terrains de foot, mais nous n’avons pas
eu le succès escompté. Les choses évoluant rapidement, les agriculteurs ont
abandonné la ficelle synthétique au bénéfice d’autres modes d’emballage des balles
rondes, et là nous n’étions plus dans la course.
Chaque année en juillet j’accompagnais
notre représentant qui visitait les coopératives agricoles, situées en Basse
Normandie, dans la Somme et en Champagne. Nous prenions la précaution d’emporter dans le
coffre de la voiture quelques sacs de ficelle. Nous étions toujours bien reçus
mais parfois on nous disait d’aller voir tel ou tel paysan qui se plaignait de
la qualité de notre ficelle. Nous étions prévenus de la mauvaise foi du paysan
et à notre arrivée il avait toujours une foule de reproches à nous faire.
Généralement, nous le trouvions dans un champ sur sa moissonneuse batteuse ou
sur une presse ramasseuse. Le représentant lui disait « je vous ai amené
le chef de fabrication, vous aller pouvoir lui dire ce qui ne va pas ». Et
là le paysan se trouvait un peu gêné, ma présence l’embarrassait, sa mauvaise
foi risquant d’être prise en défaut. Pour tout arranger le représentant lui
faisait cadeau d’un sac de ficelle et il était content, c’était le but
recherché.
Le glas des ficelles en sisal avait
sonné, nous étions vers la fin des années 1970. Les clients de ficelles
d’emballage se faisaient de plus en plus rares. Là aussi des procédés
d’emballage plus modernes prenaient la place de la ficelle. Notre client de
ficelles teintes pour la fabrication de tapis avait fermé boutique. Bref nous
avions compris que bientôt nous serions dans l’obligation de fermer. La
situation était la même pour tous nos confrères et ce fut à cette époque que les
frères Willot cédèrent l’ensemble du
groupe à Bernard Arnaud. Nous étions
peut-être la moins importante des usines dans ce genre d’industrie en France et
nous fûmes les premiers à fermer. Nous avons offert à tout notre personnel un reclassement à l’usine de Pérenchies, mais
le syndicat CGT, persuadé que l’usine était rentable, s’est opposé à cette
opération. En conséquence l’ensemble du personnel ouvrier a été licencié. Les
cadres et employés ont accepté le
reclassement et moi-même je me suis vu offrir le poste de directeur de la
filature de lin au mouillé de La Madeleine en remplacement de Willy Lachat qui
prenait sa retraite. La dernière journée à la ficellerie fut pénible et
émouvante. Nous avons employé le personnel qui nous restait à faire du rangement
et du nettoyage et vers la fin de la journée, ils étaient encore une
cinquantaine, sur les 130 de l’effectif total. Ceux-ci se sont réunis dans
un vestiaire, ont ouvert quelques
bouteilles de vin et quelques boites de biscuits et avec beaucoup de dignité se
sont dit « Au revoir ». Ils m’ont invité à les rejoindre, et je garde
de ces instants un souvenir ému. Les visages étaient graves et il y avait aussi
des larmes. Ce n’était pas seulement la perte de leur emploi qui les faisait
pleurer mais aussi la séparation d’avec des amis de longue date. Certains
travaillaient ensemble depuis plus de 30 ans, ils avaient l’habitude de se voir
chaque jour et désormais les « demain » seront
faits d’autre chose. Les cars sont arrivés et je leur ai adressé un
dernier au revoir. La page était définitivement tournée. Je suis retourné dans
les ateliers, il y régnait un silence de tombeau. Plus un seul bruit de
machine, plus une seule voix. Le lendemain une équipe de casseurs est arrivée et s’est mise à démonter et casser
toutes les machines.
En quelques années tous les fabricants
de ficelle de France ont fermé leurs usines, mais nous avions vécu vingt cinq
années formidables. L’usine tournait à plein régime et nous n’en faisions
jamais assez. Mais nous vivions une époque où tout évolue très vite, dans tous
les domaines. Il y avait entre les divers fabricants français une très bonne entente,
il nous arrivait parfois de travailler les uns pour les autres. Chaque année
nous nous réunissions à Paris et à l’issue de la réunion nous nous retrouvions
au restaurant de l’hôtel Crillon place
de la Concorde. C’était l’occasion d’échanger nos points de vue dans tous les
aspects de nos activités.
Après quelques jours à contrôler la
casse des machines je suis allé à l’usine de La Madeleine rejoindre mon ami
Willy Lachat qui m’attendait avec impatience, car pour lui l’heure de la
retraite avait sonné. C’était en février 1982. L’accueil fut chaleureux et je
visitai cette usine où je n’étais jamais venu. La filature de lin n’avait rien de nouveau pour moi, je
connaissais depuis longtemps cette fabrication. Mais prendre la direction d’une
usine ce n’est pas seulement assumer la fabrication d’un produit, c’est aussi
cultiver des relations avec le personnel, être à leur écoute, respecter et
faire respecter les règles et les lois, assumer les réunions avec les divers
comités etc. Mais dans ce domaine-là je
possédais une grande expérience
Cependant.je fus confronté à un syndicat CGT autrement plus coriace que
celui que j’avais connu à Seclin. Mais enfin, avec de la patience, de la diplomatie
et une certaine souplesse on s’en tire.
Contrairement à la ficellerie de Seclin,
aucune des usines du groupe n’était totalement autonome. L’achat des matières
premières et la vente des produits finis se faisaient par l’intermédiaire de
services commerciaux. Les fabrications se faisaient en fonction des matériels
dont disposait chaque usine et nous recevions un programme établi à partir des
commandes de la clientèle. A charge du
directeur de l’usine de faire en sorte de respecter les délais demandés par le
client. A la Madeleine la plus grande partie de nos productions était destinée au Japon. Le carnet de
commandes était toujours plein, nous n’avons jamais connu un seul jour de
chômage partiel. Cependant le grand défaut de cette usine était ses métiers à
filer. Les machines avaient été construites en Russie, et nous avons toujours
eu de grosses difficultés à les faire tourner correctement. Pendant plusieurs
années, un technicien russe était sur place à temps complet, affecté uniquement
à l’entretien de ces machines qui étaient pourtant neuves. Puis est arrivé un jour
où le technicien a été rappelé en Russie. Je ne sais pas si les frères Willot
avaient fait une bonne affaire en achetant ces maudits métiers, mais c’était
vraiment catastrophique. J’ai averti monsieur Verhasselt de cette situation,
qu’il n’ignorait pas évidemment Il est
venu à l’usine mais déjà, depuis un certain temps on parlait de fermeture.
Et la fermeture se fit en avril 1987. Là
ce furent 350 personnes mises au chômage. J’avais dirigé cette usine pendant 5
ans. Un bureau spécialisé pour la reconversion du personnel avait été chargé
des opérations de reclassement. Hélas aucun ouvrier n’a été reclassé. Les gens
les plus âgés ont été mis en préretraite. Les indemnités de licenciement ont
été versées. J’ai convoqué deux fois le personnel de la région des mines à une
réunion qui s’est tenue dans un
restaurant appelé Le Cèdre Bleu à Hénin Beaumont pour leur communiquer les
informations dont ils avaient besoin. J’avais choisi cette solution car il n’y
avait plus d’autobus pour les transporter. Ceux de La Madeleine venaient à
l’usine. La CGT a bien organisé une manifestation par un défilé dans les rues
de la ville, mais rien ne pouvait changer la décision de fermeture. Deux ou
trois ans plus tard ce fut le tour de l’usine de Pérenchies de fermer, et aussi
toutes les usines du groupe Agache
Willot Boussac Saint Frères.
L’industrie textile avait connu son
heure de gloire, maintenant c’est aux pays à main d’œuvre bon marché de prendre
le relais
- - - - - - - -
.Quand Monsieur Barbier m’avait parlé
de chronométrage, je ne savais pas bien de quoi il s’agissait, je n’avais vu que la possibilité
de sortir de ma condition d’ouvrier. Au fur et à mesure de ma formation, je me
sentais de plus en plus gêné de faire ce métier que je trouvais offensant pour
le personnel. Je me suis renseigné pour savoir d’où venait cette nouvelle
pratique et j’appris qu’un ingénieur américain du nom de Frédéric Taylor était
l’inventeur de ce que l’on appelait « l’organisation scientifique du travail ».
Ces méthodes-là avaient été appliquées dans les chaines de montage de voitures
aux Etats Unis et ailleurs dans le monde. Des industriels avaient été séduits
par ce système et pensaient pouvoir l’appliquer partout. Mais il y avait des
détracteurs, notamment les syndicats et aussi des responsables d’industries. Je
dois reconnaître que je fus heureux quand Monsieur Wédier m’employa à faire autre chose que ce métier
là. Mais je crois que dans nos usines ce truc n’eut qu’un temps, vite révolu.
Enfin, en 1987 je recevais ma lettre
de licenciement, j’avais 56 ans et je fus pendant 4 ans en situation de
préretraité. Au cours d’une petite
réception à Pérenchies à l’occasion de mon départ en retraite, Monsieur
Achille Peyronnet m’a remis deux livres
et sur les pages de garde de ceux-ci il a écrit, sur l’un : « En témoignage de reconnaissance pour une
carrière exemplaire » et sur
l’autre : « En témoignage
d’estime pour 40 années de collaboration loyale et efficace » Rien ne
pouvait m’être plus agréable, merci Achille.
En retraite je ne suis pas resté
inactif et pendant plusieurs années je me suis occupé bénévolement du service
immobilier de l’évêché pour le secteur de Seclin.
J’ai maintenant 84 ans, je touche la fin de ma vie, Je suis heureux de
cette carrière professionnelle que j’ai menée avec perspicacité et enthousiasme
malgré les aléas, les difficultés, mais il en est ainsi dans toutes les carrières professionnelles, et cela fait partie de la vie. Je ne regrette
rien, mais j’ai bien conscience que
j’ai, comme tous les gens de ma génération, eu beaucoup de chance :
encore fallait-il la saisir, cette chance.
- - - - -
- - -
-
J’ai
rédigé ce mémoire à la demande de l’association « Si Pérenchies m’était
contée » bien que ma carrière professionnelle se soit déroulée ailleurs
qu’à Pérenchies, mais quand même toujours au sein de la société Agache.
Pérenchies
le 10 juin 2015 Marcel
Gabet
J’adresse
un grand merci à Roland Dewulf qui a eu la gentillesse de corriger les fautes
de ce texte. Quelques vues aériennes de l'usine Agache |
Les différents métiers d'autrefois |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
message de formulaire