mercredi 31 juillet 2019

Les années de guerre (1939/1945) et le hameau du Fresnel par Pierre Haigneré




Pierre Haigneré

Le 10 avril 1944, un déluge de bombes s’abattait sur la cité de Lille Délivrance et sur la gare de triage faisant un grand nombre de victimes et provoquant d’immenses destructions dans la gare mais surtout sur les maisons des cheminots dont plus de la moitié était dévastée et rendue inhabitable.
Ma famille vécut cet enfer, blottie sous l’escalier, et sortit quasiment indemne pour rejoindre les autres habitants qui, hébétés, contemplaient la désolation du quartier et essayaient avec des moyens dérisoires de sauver les personnes enfouies sous les décombres.


Carte postale Lille-Délivrance vers les années 20 à 30

Carte postale "Lille Délivrance" avant 1945


Carte postale "Lille Délivrance"
(Frédéric Faucon, président de "Lomme des Weppes")
Les ruines de Lille Délivrance. Guerre 1939/1945

Les ruines de Lille-Délivrance après le 10 avril 1944


Document après le bombardement de Lille Délivrance.
(Frédéric Faucon, président de "Lomme des Weppes")

Pendant deux à trois jours, nous errâmes dans des abris provisoires mis à disposition par des voisins compatissants mais il fallut rechercher un logement plus pérenne et nous prîmes la route avec une carriole tirée par un âne emmenant le peu de mobilier pas trop endommagé pour nous réfugier chez une vieille dame propriétaire d’une ancienne forge au hameau du Fresnel entre Pérenchies et Houplines composé de quelques fermes et de maraîchers.


La rue du Fresnel à Pérenchies.
(Géoportail. IGN 2019)


Ce fut une vraie surprise pour mes parents, mes deux frères et moi même. Agé de 8 ans, je découvrais un monde rural jusqu’alors inconnu qui ouvrait des espaces immenses consacrés à l’agriculture et au maraîchage d’où étaient absents les commerces traditionnels mais surtout l’école, le stade et la piscine que je fréquentais assidûment dans mon quartier cheminot aujourd’hui anéanti.

 
Pierre Haigneré à l’âge de 7 ans, un an avant les faits racontés.


Nous étions devenus des « sinistrés » ou selon le cas, des « réfugiés ». Une nouvelle vie commençait avec les nombreuses contraintes d’un éloignement de toutes les structures éducatives et commerciales. Le matin, il me fallait partir assez tôt pour rejoindre à pied les classes de l’école primaire de Pérenchies qui se trouvait à 2km500m et cette distance, il me fallait la parcourir par tous les temps quatre fois par jour!


La rue de la Prévôté à Pérenchies. Années 20 à 40.
(Carte postale "Si Pérenchies m'était contée..." numéro 1 179)

Cette contrainte ne dura pas trop longtemps car ma mère, sur un conseil médical, jugea qu’il était préférable de rester le midi aux abords de l’école et, faute de cantine, m’équiper d’un sac dans lequel elle pourrait loger une « gamelle » contenant quelques légumes  à réchauffer et à consommer sur place.
Il fallait pour cela trouver un abri bienveillant proche de l’école et c’est ainsi que je pris pension au café Marseloo sur la place de l’église où je reçus un très bon accueil pendant tout mon séjour à Pérenchies.


La Grand'Place et ses cafés. Années 30 à 40.
(Carte postale "Si Pérenchies m'était contée..." numéro 1 228)


Le café Marseloo le 25 mai 1943. Mme Marseloo et sa fille.
(Photographie  SPMC numéro 269)


La guerre toutefois continuait et, dans le ciel d’été, les avions brillaient sous le soleil mais leur charge mortelle était cette fois destinée au sol allemand dont les troupes, sous pression, commençaient leur repli en évitant les grandes routes.
 C’est ainsi que leur itinéraire de retraite conduisit certaines unités à circuler par la petite voie départementale passant devant le Fresnel et même à s’y arrêter suite à une attaque imprudente de quelques résistants du côté de la barrière de Prémesques.
Des soldats firent irruption dans le petit café où les habitants s’étaient réfugiés partageant leur peur en se regroupant. J’ai un net souvenir de la scène qui suivit car le temps s’était arrêté lorsqu’un officier pointant son arme nous dévisagea pour tenter de trouver un coupable.
Ce fut certainement un moment dont les témoins de la scène se souviennent encore car s’il ne dura que quelques minutes, son intensité nous marqua pour toujours.



1er juin 1940. Un évhicule allemand fait son entrée à Pérenchies
et passe entre la mairie et le café de Mme Marseloo.
(Document "Si Pérenchies m'était contée..." numéro 5 939)


Soldats allemands en 1940  qui passent devant le cimetière de Pérenchies
afin de se rendre dans un château de Lompret.
(Document "Si Pérenchies m'était contée..." numéro 5 557)

Soldats allemands en 1940  au château Villers à Lompret.
(Document "Si Pérenchies m'était contée..." numéro 5 556)

Deux autres scènes sont liées à cette période troublée. C’est d’abord une lutte perdue que mena courageusement ma mère avec un soldat allemand qui voulait emporter le seul vélo de la famille permettant à mon père d’aller travailler.


Le café Marseloo vers 1943. Mme Marseloo,  sa fille et d'autres personnes..
(Photographie  SPMC numéro 254)


Le café Marseloo.  Mme Marseloo. L'intérieur.
(Photographie  SPMC numéro 251)

L’autre souvenir plus réconfortant car il se situe en fin des hostilités et alors que je prenais mon repas, c’est d’avoir été témoin du retour des camps de prisonniers, après cinq ans d’absence, du mari de Mme Marseloo qui, non prévenue, manifesta une immense émotion que j’ai en partie partagée et dont la mémoire reste vive.
Cette parenthèse agreste (NDLR : rustique) prit fin en 1945 mais j’emportais, outre les scènes guerrières, des souvenirs plus proches du quotidien des fermiers et des maraîchers notamment en aidant notre voisin à repiquer des plants de poireaux dans un champ qui me paraissait sans limites me causant des courbatures toute une semaine.
Le terrain de jeux que constituaient les champs de blé tout juste moissonnés avec leurs bottes de paille éparpillées nous donnaient de multiples occasions  d’inventer des histoires de bataille d’autant que les escadrons militaires dans leur passage avaient laissé des quantités de munitions que, dans notre inconscience, nous manipulions sans vergogne.
Mon grand plaisir restait le retour au domicile, en fin de journée d’été, qui s’effectuait dans la carriole du fermier tirée par un grand cheval avec parfois le droit de tenir les rênes quelques instants dans ces chemins vicinaux où ne circulait aucune voiture.
 

Photo d'illustration pour l'article. Non datée. Vers années 30.
Des maraichers dans le quartier du Fresnel à Pérenchies.
A droite, Henri Jourdan (né en 1933) et sa mère Hélène Jourdan Cotreuil en visite dans la famille Gruson .
(Photographie  SPMC numéro 1 816)



Photo d'illustration pour l'article. Non datée. Vers années 30/40
Des maraichers dans le quartier du Fresnel à Pérenchies.
A gauche, Jean-Marie Gruson et une employée agricole belge, Céline. 
(Photographie  SPMC numéro 1 808)



Photo d'illustration pour l'article. Non datée.
G. Verwaerde-Dubois. Quartier de la Prévôté à Pérenchies.
(Photographie  SPMC numéro 1 739)
Photo d'illustration pour l'article. Non datée. Années 50.
Des maraichers dans le quartier de la Prévôté et du Fresnel à Pérenchies.
Henri et Anne-Marie Jourdan..
(Photographie  SPMC numéro 1 711)


Le départ pour retrouver la cité de cheminots fut un moment important de mon enfance car à la rupture tragique de la guerre s’y était ajouté cette parenthèse que constitua le partage pendant deux années du mode de vie du monde agricole avec sa relation au temps rythmée par les saisons et les variations climatiques.
J’en garde un souvenir ému et j’utilise encore aujourd‘hui une partie de mon temps libre pour retrouver les parcours d’enfance à travers les champs et les petites mares bordant les fermes où pataugeaient les familles de canards  sous les branches basses des saules.

Lomme le 13 novembre 2018.

Pierre Haigneré







Pierre Haigneré


Texte : Pierre Haigneré.
Recherche documentaire : Philippe Jourdan, président de "Si Pérenchies m'était contée...".
Documents sur le bombardement : Frédéric Faucon, président de "Lomme des Flandres".
Mise en page : Jean-Pierre Compère.
31 Juillet 2019

NDLR : lors d'une rencontre à l'occasion du forum des Weppes, M. Haigneré m'informa de ses souvenirs relatifs à cette période difficile de notre histoire. Peu de temps après, il nous envoya ce texte que nous avons complété avec quelques uns de nos documents. N'hésitez pas à en faire de même. Tous ces moments de vie de votre mémoire en rapport avec l'histoire de notre ville et de ses habitants, vous seuls pouvez les inscrire dans notre mémoire collective et ainsi ouvrir de nouvelles pages du passé de Pérenchies. Si vous ne le faites pas, c'est tout un pan de notre patrimoine qui restera dans l'oubli et l'ignorance.
Les membres de l'association d'histoire locale "Si Pérenchies m'était contée..." le remercient pour ce partage et l'apport qu'il fait  dans la connaissance de notre passé.
Philippe Jourdan

2 commentaires:

  1. Anne-Marie DUMEZ1 août 2019 à 19:28

    bonjour , pour moi c'est une grande joie de voir que ce Monsieur a connu , LILLE DELIVRANCE , mon grand-père a été cheminot pendant la guerre , il me parlait souvent de sa locomotive la LISON , il a vécu a LILLE DELIVRANCE jusqu’à sa mort en 1972 , il a été concierge de la piscine avec ma grand mère , il y avait 3 terrain de tennis et un grand terrain de sport , maintenant c'est un lycée , peut être que ce Monsieur connaissait mon grand père , il s'appelait MONSIEUR LEON HOUZE , ci joint 2 photos ou mon grand père était concierge.



    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Petit bonjour de Nouvelle-Calédonie de la part d'un enfant de la cité des cheminots (Lille-Délivrance).
      Pour l'anecdote je me nomme Bernard Ledroit ( Ledroit de Lomme ! ) né au lendemain de la guerre, le 14 avril 1946 au 3 rue Charles Rattez (devenue rue Goeth)

      Supprimer

message de formulaire